jeudi 11 janvier 2007

Ecume


Lentement.

Dans les manches, dans les ourlets trop bien fait de mes manches sales, des grains de sables. Le monde en miniature, la plage qui, clandestine, s'embarque dans ma valise. Dans chaque minuscle caillou l'océan à venir, et nos vagues déferlantes et le vent qui claque.


Le phare éteint.
Les navires qu'on fracasse.


Tout remballer, cacheter, entasser sans maudire. Plus le temps de ressortir, d'humer l'air salé, d'emplir indéfiniment mes poumons de bouteilles vides. Squelettes de messages échouées sur des plages de silence. Une suplique dans un corps de verre. Le dernier signe, des millier d'étoiles de cristal sur les rochers parsemées.

Pas un murmure.


Le sable qui demeure dans les ourlet de mes manches reste mon seul au revoir.


Une caresse. Papières closes, devant la vitre.
Un instant, une vie.


Juste l'obscurité orangée, soudain assombrie par un nuage que je devine.


Une caresse, un frôlement.

L'appel de la peau à des mondes de tendresse. Souvenir déposé sur la joue lisse et perlée d'une larme fuyante.


Une mèche de cheveu. Lentement la sentir balayer mon visage. Se dérouler par dessus l'oeil fermé, par dessus le sillon humide à peine tracé, par dessus l'existence qu'on ne reconnaît plus. Quitter le chignon trop bien fait, les apparences polies par l'habitude.


Quitter la chambre où nul sommeil ne viendra plus poindre à l'aube, où seront à jamais mûrés les rêves.


Une bougie, la cire qui fond, comme glissent au loin les souvenirs vivants, comme la chair porte en elle l'oubli et l'illusion. Une bougie sur une tablette, un livre ouvert, des poèmes dont personne ne peut entendre les cris déguisés sous les mots que le crayon de bois à légrement souligné.


Près du livre, un verre vide. Pas même un reste d'eau pour celui qui pourrait survivre, pas une goutte d'espoir pour l'assoiffé, rien, rien que la sécheresse avide entre les parois miroitantes. Sur leurs rebords courbés l'esquisse rosée d'une bouche, et la poussière scintillante du temps qui déjà reprend sa place.


Aux murs les traces languissantes de tant de soupirs. Te rappelles tu les amours le miel poudré des étoiles filantes à décrocher ensemble tes baisers la canelle sur mes lèvres le volcan dans nos ventres et la musique et la musique infinie de ton souffle mêlé au mien?


Aux murs gris ne restent plus que la banalité des jours à venir, des jours absents.


T'imagines tu toutes ces heures acculées, toutes ces secondes concassées émiettées de morne ennui?

Du sable goudronné qui s'écoule sans rebond, qui s'écoule à l'infini en ruban d'autoroute, des retours de vancances, des kilomètres de tristesse sans paysages aux fenêtres pour s'échapper en songe.


Un fissure près du plafond. L'ampoule nue et décharnée qui suspend son petit corps au bout d'un fil noueux.

Le chambranle de la porte. Cette porte que bientôt l'on fermera à jamais sur nos souvenirs encore vivants.

Serrure. Tour de clé sur un passé sucré salé. Sur l'harmonie du temp d'hier, sur les brins d'herbe sous nos têtes rêveuses, sur la courbe de ton dos, sur la douceur de ta bouche comme sur les lendemains qu'on y avaient inscrit de nos baisers.


Plus rien ici.

Plus rien que l'absence criante de lumière. Crépuscule et ténébre.



Non, plus rien ici.


Bien loin de nos orchestres, de nos ballets lunaires, et des petits matins assoupis au creux du jour à naître.


Je n'y pense pas. Je ne peux les rappeller à ma mémoire usée de chagrin, ces nuits symphoniques sous les volutes des draps soulevés.


Je pense à la mer. Avec précaution je retiens le sable dans les manches relevées, et je laisse les flots bleux violets sombres joyeux lourds les tornades océanes me rendre flou du bonheur englouti.
Je ne veux penser à rien qu'aux vagues qui me soulèvent, vagues de desépoir peut-être, mais ça je ne le sais pas encore.


Je suis le goéland, l'algue et l'horizon à la fois.


Je suis l'îlot enseveli, l'esquif à la dérive et la roche saillante. Chairs tranchées.


Dans ma valise, les vêtements. Des loques impeccablement pliées, des blessures cachées. Pas un mouchoir ne sera froissé.


Pas un mot, pas une plainte.

Mon costume de fille sage revêtu sans un pli, ma douleur encaissée sans un mot, le sourire contri endossé, et les corridors de l'oubli.


Ma mémoire au rouleau compresseur, quant-à mon coeur, pauvre petite chose sanglante, ça fait bien longtemps qu'il a saissé de battre.


Les forêts de nos amours bientôt abattues. Un à un tomberont les grands arbres.

Désespérante clairière dont je sentirait la tache pâle augmenter sans cesse. Mon ventre est cette longue plaine déboisée, cette étendue vide et séche.


Face à la mer. L'humilité me fait courber la tête.



Je ne peux oublier. Tout est là, dans les grains se sable que j'emporte en secret.



Je peindrai la plage sur le bitume des villes, et l'océan à nouveau viendra lécher mes pieds nus et rafraichir mon coeur douloureux.



Des grains de sable.

Des millions de grains de sable.


Et toi, disparu au milieu.


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1 commentaire:

Lise a dit…

Ceci est une photo de Veuve tarquine.
merci a elle.